Faut-il nommer un ambassadeur auprès des GAFA ?

par | Fév 15, 2017 | Business | 0 commentaires

En nommant un ambassadeur auprès des GAFA, le Danemark entérine la déterritorialisation de ces grandes multinationales que sont les GAFA.

Comme le Vatican veillait sur nos âmes, les GAFA s’occupent aujourd’hui de nos vies. Faut-il, pour autant, suivre l’exemple danois et entretenir des relations diplomatiques avec ces géants du XXIème siècle ? La question est loin d’être saugrenue, même si, politiquement, les GAFA ne forment pas un pays, voire un territoire. Dans ce contexte, fait-il sens de nommer un ambassadeur, c’est-à-dire un représentant de l’Etat ? Parler ici de pays et de territoires peut même choquer. Les GAFA, pour des raisons d’optimisation fiscale, n’élisent-ils pas domicile là où leurs profits sont les moins exposés ?

Politiquement, on est d’accord : ce ne sont ni des pays, ni des territoires habités constituant des entités géographiques et humaines. L’Histoire nous rappelle pourtant que les fonctions d’une frontière peuvent fortement varier suivant les régions et les périodes. Entre les pays de l’Espace de Schengen, par exemple, les frontières ne sont qu’une limite politique et juridique, ne faisant pas obstacle à la circulation des personnes et des biens; entre les deux Corée, la frontière est matérialisée par une large bande surveillée militairement et son franchissement est on ne peut plus restreint.

Pas de territoires, pas de frontières donc. Mais, pour les GAFA, une puissance incontestable; une puissance qui constitue un pouvoir, un énorme pouvoir. Selon les résultats d’une étude de l’agence Fabernovel, Google, Apple, Facebook et Amazon représenteraient 55% de notre «temps numérique». C’est dire si les GAFA sont entrés dans nos vies. Nous les avons accueillis au point, aujourd’hui, d’en reconnaître une forme de dépendance. Que ferions-nous, en effet, sans nos smartphones ? Sans les réseaux sociaux ? Sans nos moteurs de recherche ?

En nommant un ambassadeur auprès des GAFA, le Danemark entérine la déterritorialisation de ces grandes multinationales. Ce nouveau poste met tout simplement en évidence le poids politique important des géants de la technologie sur la scène diplomatique internationale. Et devrait nous faire réfléchir.

Déterritorialisation… ou nouveaux territoires ? Même s’ils sont virtuels, il s’agit bien de nouveaux territoires. Territoires numériques, s’entend. Et il nous faudra bien nous confronter avec leurs dirigeants, leur faire part de nos valeurs et, par conséquent, négocier. C’est le propre de la diplomatie : conduire des négociations entre personnes, entre groupes ou nations. Aujourd’hui, rappelle fort justement le Financial Times, la capitalisation boursière d’Apple (620 milliards de dollars) est à peine inférieure au PIB d’un pays comme l’Arabie Saoudite, tandis que celle de Google, première capitalisation boursière du monde, dépasse largement celui de l’Argentine. Voilà qui situe les forces en présence.

L’argent, encore. L’argent, toujours. C’est ce qui peut choquer dans cette nomination. Nommer un ambassadeur c’est, indirectement, offrir un statut d’État aux GAFA. N’est-ce pas, aussi, accepter l’idée que l’argent permet de déroger aux règles communes du droit ? Mais plutôt qu’en disserter à l’infini, le Danemark a pris position, il s’est engagé. Certes, le nouvel ambassadeur n’ira pas siéger en Californie. Mais il ne faut pas pour autant sous-estimer sa nomination. Elle pourrait annoncer des changements dans les relations internationales. Les rapports de force changent. On l’a vu récemment, quand les GAFA sont partis en guerre contre la politique migratoire de Donald Trump, la Californie se désolidarisant des autres Etats. On le voit aussi avec ce projet d’îles flottantes en Polynésie, question qui touche au principe de territoires.

De là, précisément, l’importance d’une diplomatie nouvelle, selon Anders Samuelsen, le ministre danois des Affaires étrangères. Et, pour illustrer son propos, d’ajouter : «Dans le futur, nos relations bilatérales avec Google seront aussi importantes que celles que nous entretenons avec la Grèce.» L’image est forte, terrible même. En pratique, cet ambassadeur d’un genre nouveau aurait pour feuille de route d’entretenir et de resserrer les liens entre ces mastodontes de la Tech et Copenhague, au même titre que des relations bilatérales classiques. Mission : «capter les signaux envoyés par les géants des nouvelles technologies et les répercuter dans la société danoise.»

Et ces signaux sont importants. Que ce soit avec l’intelligence artificielle, le machine learning, le big data, l’internet des objets ou les voitures sans conducteur, les GAFA sont en train de changer la face du monde. L’innovation est moteur de vie, mais elle n’est pas sans danger. Il importe de la contenir, de la cadrer. Certes, nous ne restons pas à rien faire. Voici peu, le Parlement européen s’est penché sur le statut des robots. Ce qui pourrait passer pour anecdotique ne l’est pas. C’est la première fois au niveau mondial qu’un législateur propose l’instauration d’une nouvelle notion juridique adaptée aux robots : celle de personnes électroniques ayant des droits et des devoirs. Ce serait une sorte de rencontre juridique du troisième type, entre les personnes physiques, statut réservé aux êtres humains, et les personnes morales, un régime qui ne s’applique qu’aux entités physiquement invisibles. Voilà bien un exemple de négociations qu’il serait bon de mener directement avec les groupes concernés, entre politiques et industriels. Et donc l’occasion de repenser la place des firmes technologiques dans les relations diplomatiques.

Alain de Fooz

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