Il y a une «méthode Musk». Stéphane Schultz, fondateur de 15marches, une agence de conseil en stratégie et innovation, l’explique. 

Au cours des quinze dernières années, Elon Musk a importé avec succès le modèle entreprenarial de la Silicon Valley dans des industries aussi fermées que le transport, l’énergie et le spatial. Comment a-t-il pu réussir sans expérience, sans écosystème favorable et avec très peu d’argent au regard des investissements nécessaires ? Quelle organisation a-t-il mis en place pour «casser les codes» de ces industries et imposer les siens ? Pas de miracle, pas d’homme providentiel, assure Stéphane Schultz sur son blog. Cette réussite s’explique par des principes et une méthode exécutés avec une qualité et une volonté sans faille. Elle peut se résumer par l’adage Think Big, Act Small …

Partir d’une grande idée

Larry Page, co-fondateur de Google : «Les grandes idées sont toujours folles jusqu’à ce qu’elles ne le soient plus. Notre intuition au sujet des choses que l’on ne connaît pas bien est rarement bonne. Selon Elon, il faut toujours partir des premiers principes d’un problème. Quelle est la physique de ce problème ? Combien de temps cela va-t-il prendre pour le résoudre ? Combien cela va-t-il coûter ? Jusqu’à combien de fois moins cher peut-on arriver si l’on s’y prend autrement ? Pour cela, vous avez besoin d’un niveau d’ingénierie et de physique suffisant pour juger ce qui est possible et intéressant». La folle idée d’Elon Musk est la suivante : rester dans l’ère des énergies fossiles est l’expérimentation la plus idiote de l’histoire. Plus nous continuerons et plus nous changerons la composition des océans et de l’atmosphère et plus nous subirons les effets indésirables à long terme lorsque nous en serons sortis. Pour en sortir, il faut tirer parti d’une énergie abondante et bon marché : l’énergie solaire. Et trouver les moyens de l’utiliser efficacement pour le transport, l’habitat, l’industrie,…

En quinze ans, il a bâti un écosystème autour de l’énergie solaire allant du transport, des batteries aux chargeurs en passant par les circuits de distribution, la cartographie et la robotique. D’abord négligée, la «bonne idée un peu folle» agite désormais toutes les filières concernées et dicte désormais la stratégie de ses concurrents. Et en cas d’échec pour sauver la planète, Musk prépare déjà la solution : conquérir l’espace pour faire de l’espèce humaine une espèce multi-planétaire. D’où sa deuxième aventure menée en parallèle : SpaceX, dont l’objectif n’est rien moins que de pouvoir transporter suffisamment d’hommes et de matériel pour coloniser Mars.

Apprendre par soi-même

Au tout début de Tesla et SpaceX, les équipes pensaient pouvoir faire comme les «gros» du secteur : se concentrer sur les éléments à forte valeur technologique (moteur, batteries et électronique) et sous-traiter le reste. Ils découvrent à leurs dépens que les sous-traitants n’ont aucune intention de travailler avec celui qui n’est à leurs yeux qu’un «millionnaire excentrique». Les fondateurs devront se rendre à l’évidence : ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. L’innovation ne s’achète pas, elle se fabrique, écrit avec justesse Stéphane Schultz.

Cette contrainte deviendra l’une des principales clés du succès des entreprises de Musk : débarrassées des équipementiers traditionnels, les équipes de Tesla pourront inventer, tester et lancer des procédés révolutionnaires dans tous les domaines : batteries, transmission, carrosserie, aménagements intérieurs, robotique. SpaceX séduira le gouvernement fédéral lorsque celui-ci réalisera que sa dépendance vis-à-vis de fournisseurs étrangers, notamment russes est incompatible avec la géopolitique (crise ukrainienne). SpaceX, de son côté, fabrique 80 à 90% de ses fusées, moteurs et électroniques dans son usine de Los Angeles.

Surtout, le Do It Yourself a permis d’appliquer à ces industries les méthodes éprouvées dans les startups du logiciel : décloisonner les équipes, développer des preuves de concept «good enough» pour pouvoir les tester, aller vite et apprendre de ses erreurs.

Trouver des solutions innovantes pour réduire les coûts

Les contractants traditionnels de la NASA ont dimensionné leur offre en s’alignant sur la demande maximale de leur client : le satellite militaire à un milliard de dollars. Cette stratégie a conduit à des dérives en termes de coûts et de bureaucratie. Idem pour les Big Three de Détroit. «Je ne sais pas ce que font les autres avec leur argent : ils doivent le fume», déclare Gwynne Shotwell, la présidente de Tesla.

Le manque de moyens a conduit, au contraire, les équipes de Tesla à développer des procédures infiniment moins coûteuses …. et fumeuses : l’utilisation massive des logiciels 3D remplace une partie des tests de véhicules et de pièces de fusées; les profils recrutés possèdent une triple expertise en mécanique, ingénierie et informatique; SpaceX choisit de posséder son propre terrain de lancement pour ne plus subir les lenteurs de l’armée américaine; les problèmes y sont réglés dans la journée là où il est coutume pour la NASA d’arrêter tout trois semaines en cas de pépin.

Chez Tesla, constate encore Stéphane Schultz, la création de la model S commence par le hacking d’une Mercedes CLS, que les ingénieurs de Tesla démontent entièrement, équipent de batteries, remontent et conduisent; les Allemands épatés par cette preuve de concept prendront 10% des parts de l’entreprise et équiperont leurs véhicules électriques de moteurs et batteries Tesla.

La «scalabilité» des solutions retenues est aussi un élément majeur d’économies. Le choix pour Tesla d’utiliser des batteries lithium-ion du même type que celles des smartphones permet d’importantes synergies, qui conduiront notamment à la construction de l’usine géante GigaFactory. Les batteries murales Powerwall sont également prévues pour être utilisées seules ou en réseau, de 100KWh à 50 MWh. Dans le domaine spatial, le choix d’assembler des modules de 3 moteurs plutôt que des moteurs différents pour chaque type de lanceurs va dans le même sens. Le développement de chaque modèle profite à tous les autres. On retrouve la notion de standards et de plateformes technologiques propres au monde du logiciel et du hardware informatique.

La recherche de standardisation pousse également Musk à ouvrir tous les brevets de la Tesla au public en 2014 : il fait le pari que les autres constructeurs utiliseront ses solutions pour leurs propres véhicules et chargeurs, ce qui permettra le développement beaucoup plus rapide du véhicule électrique. Pour lui les brevets ne servent à rien quand son entreprise innove en permanence.

Responsabiliser les équipes et prendre des décisions rapidement

Les industries traditionnelles séparent les métiers entre plusieurs villes voir plusieurs continents. Musk impose une organisation en petites équipes resserrées où la proximité physique des métiers fait merveille : dans les usines au sol blanc immaculé, tout le monde (même le patron) a son bureau en open space directement au contact des ouvriers qui travaillent sur les machines. Les équipes disposent d’une très grande autonomie pour inventer des solutions. L’absence de sous-traitants devient une force. Les essais-erreurs s’enchaînent là où les procédures et l’éloignement des centres de décision prennent des semaines chez les concurrents, analyse Stéphane Schultz. Les innovations sont immédiatement capitalisées : Tesla utilise des procédés de soudure développés par SpaceX par exemple et les équipes design et ingénierie collaborent.

Surtout, Elon Musk est capable de prendre des décisions importantes très rapidement. Lorsqu’un problème survient, il exige de ses équipes de toujours arriver avec des solutions. Les plannings doivent être précis dans les moindres détails, parfois jusqu’à l’absurde. La charge de travail demandée est intense, à la hauteur de celle du boss qui travaille 6 jours sur 7 entre ses deux entreprises. Mais lorsque ces conditions sont remplies, les décisions sont instantanées et permettent à tous d’avancer.

Les résultats de ce lean poussé à l’extrême sont à peine croyables : des équipes expérimentées de 30 personnes font le travail de 300. Le lanceur Falcon Heavy peut transporter deux fois plus de charge que sa concurrente Delta IV pour un tiers de son coût. Un vol avec Falcon 9 est facturé 60 millions contre 380 millions pour le concurrent ULA. Les équipements de communication entre l’ISS et la capsule chargée de la ravitailler sont réalisés pour 10 000 USD, alors que la NASA les payait… cent fois plus !

Tout n’est pas si rose pour autant : les errements des débuts de Tesla porteront le coût unitaire de la Roadster à plus de 200.000 USD, pour un prix de vente de 75.000 USD. L’entreprise sera en faillite en 2013 et devra revoir radicalement ses process de fabrication. Musk remplacera l’équipe dirigeante, imposera des plans d’action ultra-détaillés et en surveillera personnellement chaque semaine l’application.

Être obsédé par ses clients

Lorsque sa première fusée réussit son lancement après trois tentatives infructueuses, Elon Musk en fit transférer un modèle échelle 1 à Washington, dans les jardins proches du Congrès américain. Il donna ainsi une conférence de presse avec dans son dos la fusée et le centre de décision, montrant à toute l’Amérique qu’elle pouvait désormais compter sur SpaceX pour ses activités spatiales. Il se rendit souvent devant les parlementaires pour tenter de s’ouvrir l’immense marché des lanceurs américains. «Ce qui est inhabituel avec Elon est que non seulement il connaît l’ingénierie et la physique, mais il connaît aussi le business, l’organisation, le leadership et la manière de parler aux gouvernements», a écrit Aaron Levie, CEO, Box.

Quand il ne voyage pas pour promouvoir ses solutions dans le monde entier, Elon Musk répond personnellement aux détracteurs de ses marques. Il laisse rarement une critique de journaliste sans réponse. Son obsession ira jusqu’à faire annuler la commande d’un blogueur qui avait critiqué trop rudement selon lui son entreprise. Soucieux de maîtriser l’expérience utilisateur de A à Z, Tesla développera comme Apple son propre réseau de distribution avec ses Tesla stores implantés au coeur des centres commerciaux.

Vision, organisation apprenante, innovations radicales, responsabilité et obsession-client : ces caractéristiques se retrouvent dans les plus grandes réussites entrepreneuriales contemporaines, d’Apple à Alibaba en passant par Amazon. Elles ne sont pourtant pas l’apanage des sociétés de l’internet, pas plus que de leurs fondateurs, aussi charismatiques soient-ils. Elles démontrent que chacun peut, quelque soit son domaine, les mettre en oeuvre. Les grandes idées un peu folles sont à ce prix.

 

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Les clés du succès d’Elon Musk
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