Quelle sentience pourraient vraiment développer les applications fondées sur l’IA ?

L’illusion de la sentience -c’est-à-dire la capacité d’un système à sembler comprendre, éprouver de l’empathie ou s’identifier- existe déjà, et elle devient de plus en plus convaincante. Elle a aussi des conséquences importantes sur la façon dont nous interagissons avec les technologies, estime Sara Portell, Acting VP of Product et VP User Experience, Unit4.

Il s’agit là d’une problématique fallacieuse, que les passionnés de technologie optimistes pourraient envisager sans réserve, tandis que les plus sceptiques d’entre nous seraient consternés à l’idée qu’une application devienne plus proche de l’humain. « C’est un domaine de recherche fascinant, que j’étudie dans le cadre de mon doctorat, avance Sara Portell. J’étudie l’interconnexion entre l’IA, la psychologie et les applications pour entreprises. L’IA devient chaque jour plus intelligente, et certains commentateurs affirment que l’intelligence générale artificielle se rapproche à grands pas. D’autres, cependant, comme le révèle le rapport de The Association for the Advancement of Artificial Intelligence (AAAI) consacré à l’avenir de l’IA, se demandent si l’AGI devrait même être l’objectif à long terme… »

Microsoft Copilot vous invitera à ne pas croire que les applications deviendront sentientes, mais suggère toutefois que l’IA est un outil puissant permettant d’automatiser les tâches, d’alléger les charges de travail et de proposer des interactions plus personnalisées entre les utilisateurs et la technologie. « Eh oui, il est bien possible qu’à l’avenir, vous ayez une conversation naturelle, semblable à un échange humain, avec votre agent IA au sujet de votre week-end. Celui-ci pourrait vous rappeler l’anniversaire de grand-mère, tout en vous proposant des conseils sur la meilleure façon de gérer votre charge de travail, afin de vous assurer d’avoir du temps libre pour honorer vos engagements personnels. Cet agent pourrait vous donner l’impression d’être sentient ; cependant, ce ne sera pas le cas. »

L’illusion de la sentience

Soyons clairs : l’IA n’est pas douée de conscience. Elle ne ressent pas d’émotions, ne fait pas de choix et n’a pas d’intentions. Ce qu’elle fait, c’est simuler ces comportements avec une grande aisance.

L’illusion de la sentience -c’est-à-dire la capacité d’un système à sembler comprendre, éprouver de l’empathie ou s’identifier- existe déjà, et elle devient de plus en plus convaincante. Cette illusion a des conséquences importantes sur la façon dont nous interagissons avec les technologies d’entreprise, assure Sara Portell. « L’IA ne deviendra pas sentiente au sens humain du terme. Toutefois, elle deviendra plus sensible à qui nous sommes, à nos comportements, à nos préférences, à nos besoins et même à nos humeurs. Au fil du temps, les logiciels pour entreprises deviendront plus ‘humains’ – non pas parce qu’ils pensent, mais parce qu’ils reflètent de plus en plus précisément notre façon de penser, de communiquer et de prendre des décisions. »

Plutôt qu’un chemin linéaire vers la sentience, nous observons trois dimensions simultanées de la transformation de l’IA dans les applications pour entreprises.

L’automatisation avec empathie

L’IA excelle déjà dans le domaine de l’automatisation des flux de travail, la synthèse d’informations et l’optimisation des performances. Toutefois, sa finalité ne doit pas uniquement être l’efficacité ; elle doit également améliorer l’efficacité d’une manière qui améliore le bien-être et l’équité.

Prenez l’exemple de l’utilisation par Unilever d’entretiens d’embauche guidés par des chatbots, qui permettent d’éliminer les préjugés humains lors des premières étapes du recrutement. Le résultat ? « Une augmentation de 16 % de la diversité sur le lieu de travail, ou encore des systèmes de gestion de la charge de travail fondés sur l’IA, permettant d’équilibrer la répartition des tâches afin d’éviter l’épuisement professionnel et de créer une dynamique d’équipe plus durable. Ces systèmes ne se contentent pas d’automatiser les flux de travail ; ils soutiennent également les humains de manière plus réfléchie et plus réactive. »

Une personnalisation qui apprend à vous connaître

« Nous voyons déjà des exemples dans lesquels l’IA est mise en œuvre afin de proposer des suggestions fondées sur les préférences et les antécédents professionnels du personnel, notamment dans le domaine de l’apprentissage personnalisé, poursuit Sara Portell. Les plateformes d’apprentissage adaptatif basées sur l’IA permettent de personnaliser la formation en fonction des progrès individuels, garantissant ainsi le développement efficace des compétences. »

 Une étude réalisée par McKinsey indique que les parcours d’apprentissage personnalisés permettent d’accroître de 60 % l’engagement des élèves et étudiants, tout en améliorant les résultats scolaires de 30 %. L’IA peut promouvoir le bien-être du personnel au travers d’outils d’analyse des sentiments, permettant d’évaluer le moral au travail sur la base de l’analyse des communications internes. Cette démarche encourage un engagement plus proactif des ressources humaines auprès des collaborateurs, permettant ainsi de répondre à leurs préoccupations.

L’IA déployée dans les entreprises devient donc plus personnelle, et pas uniquement dans sa manière d’adapter les contenus ou les supports de formation. Les plateformes d’apprentissage adaptatif personnalisent le développement professionnel en fonction des progrès accomplis en temps réel.

Par ailleurs, des systèmes plus sophistiqués analysent le ton, le sentiment et les données historiques afin de promouvoir le bien-être émotionnel du personnel, continue Sara Portell. « Imaginez que les ressources humaines puissent intervenir proactivement lorsque les communications d’un collaborateur suggèrent un désengagement ou du stress – pas pour le surveiller, mais pour l’aider. »

Des interactions semblables à des échanges avec un humain

C’est ici que les choses deviennent intéressantes. L’IA peut déjà imiter l’intelligence émotionnelle en reconnaissant les expressions faciales, le ton et les modèles de langage. Dans des applications futures, toutefois, elle pourra également prédire les états émotionnels et réagir d’une manière empathique, opportune et intuitive.

Pour autant, sera-t-elle sentiente ? « Non, mais elle donnera à l’utilisateur l’impression d’être sentiente. » Bien entendu, cela suscite une question complémentaire importante : serions-nous vraiment à l’aise avec un outil IA qui en sait autant sur nous ? Nous sommes déjà habitués aux appareils grand public qui surveillent notre fréquence cardiaque et aux logiciels capables de lire les réactions émotionnelles, ainsi qu’à l’analyse des transcriptions de conférences Teams, afin d’évaluer l’état émotionnel des participants.

« Cette question doit être abordée avec tact, mais l’IA émotionnelle aspire à mieux comprendre notre réaction psychologique à la technologie, et cette démarche pourrait être bénéfique pour le personnel. »