Pourquoi casser le cadre juridique le plus abouti au monde ?

Surtout, ne rien céder. A l’issue de Connect 2025, Thierry Breton analyse le Digital Omnibus, la proposition législative controversée de la Commission européenne.

Avec d’autres, l’ancien commissaire européen Thierry Breton appelle à résister fermement aux tentatives de « détricotage » des grandes lois numériques européennes. Dans un post, il déclaré : « Face à la pression -notamment extra-EU- il ne faut rien céder ». Une semaine plus tôt, à Connect 2025, l’événement co-organisé par Win et Computerland,  Thierry Breton avait rappelé l’importance vitale de notre souveraineté numérique est vitale.

« Réseaux sociaux, e-commerce, assistants IA… Nous passons, chaque jour, entre quatre et cinq heures en moyenne dans cet espace informationnel via nos smartphones et autres écrans. Il est essentiel de l’organiser, le structurer, le réglementer. » L’Europe s’y est déjà attelée. Entre 2022 et 2024, nos lois numériques ont été adoptées par une écrasante majorité des députés européens et à l’unanimité des Etats membres.

Le DSA (réseaux sociaux), le DMA (marchés numériques), le Data Act (données) et l’AI Act (intelligence artificielle) constituent le socle commun de la protection de nos enfants, de nos concitoyens, de nos entreprises, de nos démocraties contre les dérives de toutes sortes dans l’espace informationnel.  « Ces quatre grandes lois sont le miroir de nos valeurs fondamentales et des principes de notre état de droit. À ce jour, ce cadre juridique est le plus abouti au monde. L’Europe peut en être fière ! »

Omnibus… au risque de sacrifier nos droits fondamentaux

Aujourd’hui, la Commission européenne propose un nouveau paquet numérique, le Digital Omnibus, pour « simplifier les règles sur l’intelligence artificielle, sur la cybersécurité et sur la gestion des données ». La proposition passe mal. Ce projet n’est pas un ajustement technique mais une réécriture idéologique, estiment nombre d’observateurs.

En réduisant -notamment- la portée du GDPR, la Commission européenne risque de sacrifier la primauté des droits fondamentaux au profit des intérêts économiques et de la course à l’IA. Restreindre la protection des données sensibles aux seules informations « directement révélées » revient à ignorer la puissance des inférences algorithmiques : c’est un cadeau au profilage automatique. 

Ne craignons pas de déplaire !

A Connect 2025, Thierry Breton avait prévenu : « notre immense marché numérique est ouvert à tous… mais les acteurs qui veulent en tirer parti doivent respecter nos conditions. Ne craignons pas de déplaire : pas de respect des lois, pas d’accès au marché ! » De fait, c’est la règle de nos grands partenaires. Les États-Unis ou la Chine se refusent-ils à appliquer leurs propres lois pour nous être agréable ? « Appliquons les nôtres avec célérité, invite l’ancien commissaire. Ce doit être la première expression de la souveraineté numérique européenne. »

États-Unis, Chine, Russie, Europe, les nouveaux empires numériques étatiques se distinguent par des visions propres et des stratégies divergentes de l’espace informationnel qui reflètent leurs valeurs, leurs priorités en matière de souveraineté et leur rapport au marché et à l’État, explique Thierry Breton.

« Face au libéralisme à tous crins et au dirigisme autoritaire, l’Europe a choisi une voie qui lui est propre. Elle a misé sur la force de son grand marché intérieur de 450 millions de citoyens. Ce qui implique d’avoir le courage politique de l’utiliser sans faillir dans les rapports de force. L’arsenal juridique de notre espace informationnel a vocation à assurer son homogénéité, la protection des usagers, la transparence du jeu des acteurs et la préservation des fondements de nos démocraties. »

Ne soyons pas les idiots utiles !

Comment s’étonner dès lors que d’aucuns s’évertuent à l’affaiblir, à vouloir cisailler méthodiquement les quatre grands piliers de notre espace numérique ? « Ne nous laissons pas intimider ! Renonçons plutôt à les détricoter -par des lois dites ‘omnibus’ ou autres- à peine quelques mois après leur application au prétexte qu’elles seraient trop complexes voire « anti-innovation ».

L’origine outre-Atlantique de ces attaques ne trompe personne. « Ne soyons pas les ‘idiots utiles’ ! ». Préserver à toute force l’intégrité de nos piliers juridiques numériques, y compris au niveau géopolitique, est donc la deuxième expression de notre souveraineté numérique.

La souveraineté se construit, elle ne s’achète pas, a lancé Thierry Breton devant le demi-millier de participants à Connect 2025. Et de répéter son message aujourd’hui. « L’Europe, qui ne possède pas de champions numériques mondiaux, n’affirmera une souveraineté crédible et durable qu’en conjuguant réglementation ambitieuse, investissements massifs, innovation souveraine, action coordonnée et valorisation des talents. »

L’éternelle question du financement

L’Europe doit investir dans la recherche, les infrastructures critiques, la formation… Objectif : favoriser l’émergence de champions, capables de concurrencer les Big Tech, ce qui passe par le financement des start-up, la consolidation des PME innovantes et la création de plateformes natives européennes.

À cet effet, un marché unique des capitaux est une priorité absolue pour disposer d’un terreau financier comparable aux USA, insiste Thierry Breton. Pour, aussi, que nos projets ne restent pas à l’état de prototypes ou de vitrines, mais deviennent des standards mondiaux. Qui plus est, l’autonomie exige de ne plus dépendre de juridictions extra-européennes pour nos données (Patriot Act, Cloud Act…), de localiser et certifier nos infrastructures critiques tout en favorisant le levier de l’open source.

« S’opposer aux pressions extérieures, développer et affirmer l’imperméabilité de nos infrastructures souveraines : telle doit être la troisième expression de notre souveraineté numérique. »