Serions-nous en train de perdre le plaisir d’apprendre ?

L’IA nous dispense de certaines aptitudes et, ce faisant, semble les rendre obsolètes. Mais ce serait oublier que l’apprentissage n’est pas une corvée, soutient Camille Dejardin dans son livre « À quoi bon encore apprendre ? » ( Gallimard, collection Tracts ).

« L’IA, en tant que faculté externalisée, ou plus exactement en tant que prothèse plaçant la réalisation de tâches hors de nous, ne ‘menace’ pas l’apprentissage : elle le remplace ! »

Le ton est donné. Pour la philosophe Camille Dejardin, on va trop loin. Après avoir soulagé l’humanité -ou, du moins, une partie- de l’effort physique, la tech est en train de nous soulager de l’effort intellectuel. Ce serait très net depuis la mise en ligne de ChatGPT.

L’effort d’apprendre est-il devenu vain ?

Internet nous a mis le savoir à portée de main. Les réseaux dits sociaux nous invitent à le partager. Désormais l’IA le synthétise à notre place et nous le sert « prêt-à-l’emploi ». Et, en tout cela, la machine semble bien plus performante que l’humain. Que nous reste-t-il à apprendre ? L’effort d’acquérir des connaissances et des savoir-faire est-il donc rendu obsolète ? Illégitime ? Vain ?

Assurément non, si l’on prend conscience de ce que ce travail ne vaut pas seulement pour son résultat final, qui peut éventuellement être produit sans nous, mais pour la transformation de nous-mêmes qu’il opère. Une transformation que l’on peut appeler expérience, perfectionnement, aguerrissement ou encore réalisation… et qui pourrait bien constituer le sens même de la vie.

Quid du plaisir d’apprendre ?

L’IA nous dispense de certaines aptitudes et, ce faisant, semble les rendre obsolètes. Mais ce serait oublier que l’apprentissage n’est pas une corvée sans autre finalité que son résultat -faire un calcul pour avoir le résultat, produire un « contenu ».

Pour l’auteure, nous vivons dans une configuration sociale qui tend à museler l’appétit de connaissance au profit d’une quête de résultat rapide que l’on prend à tort, pour de l’efficacité. Et les enseignants ont leur part de responsabilité. Combien d’entre eux ne déclarent -ils pas qu’un bon pédagogue doit s’effacer, distribuer des documents et permettre aux élèves de découvrir, par eux-mêmes, ce qui leur sera utile ? « Un tel discours est scandaleux, s’insurge Camille Dejardin. C’est un sabordage de l’institution en même temps qu’une attitude méprisante socialement. C’est une façon de déguiser la faillite des moyens de l’institution scolaire en principe éducatif. »