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L-Post, un an. Le digital sera-t-il reconnu ?

Juin 21, 2022 | Data Intelligence | 1 commentaire

L-Post, le premier quotidien d’information « pure player », s’impose. Les résultats sont encourageants. Mais comment attirer plus d’abonnés quand la presse numérique n’est toujours pas reconnue et donc aidée ?

° Un an pour L-Post, le premier quotidien « pure player » (100% digital) dans la presse francophone belge ! Quel bilan tirez-vous à l’issue de ces douze premiers mois en termes de reconnaissance, mais aussi en termes de pénétration du marché ?

Philippe Lawson (*) : « Le bilan est globalement positif. Sur le plan rédactionnel, d’abord. L-Post s’est imposé en proposant de l’investigation en ligne, avec des sujets qui fâchent, qui dénoncent, façon Mediapart. Nous avons aussi apporté de la fraîcheur dans le paysage médiatique et mis en avant des sujets qu’on ne trouve pas dans les médias traditionnels. En ce sens, le quotidien 100% digital, L-Post, remplit pleinement sa mission : contribuer à la pluralité de la presse quotidienne dans l’espace médiatique en Belgique francophone où le marché est animé par deux groupes de presse, à savoir IPM et Rossel. La pluralité des médias est un atout bénéfique pour la démocratie. L-Post ambitionne aussi d’offrir un espace d’expression pour des journalistes indépendants qui peuvent y proposer le résultat de leurs enquêtes…

« Commercialement, la ‘marque’ s’est imposée plus vite que prévu. Chaque mois, nous touchons entre 30 à 40.000 lecteurs, ce qui est bon. En revanche, notre nombre d’abonnés n’évolue pas au rythme escompté. En Belgique, la presse en ligne est toujours considérée comme un support gratuit… »

L-Post, de l’implication et du temps

° Justement, quid du modèle économique ? De nombreux supports proposent de 3 à 5 articles gratuits par mois -les précurseurs furent Wired et le Washington Post- avant de bloquer l’accès aux articles afin de promouvoir les offres d’abonnements. Est-ce un modèle ? Qu’en pensez-vous ?

« La question des abonnements taraude tous les éditeurs… Au début du Web, en tant que consommateurs, nous nous sommes habitués à consommer du contenu gratuit. On a vu les grands éditeurs de presse se numériser de manière forcée au début, avec cette crainte de devoir tout offrir gratuitement. Les revenus publicitaires générés en ligne peinaient à compenser la perte des ventes physiques -achats quotidiens ou abonnements.

Philippe Lawson : ” L’essor du numérique est incontestable. Mais il n’est pas considéré. Il est anormal que l’aide à la presse en région francophone ne profite qu’à deux grands groupes de presse. “

« La gratuité n’est pas une finalité : le journalisme est un métier qui demande de l’implication et du temps, il est fait par des humains et tout travail mérite salaire. L’information a donc un prix ! Rien n’est gratuit, il y a toujours quelqu’un qui paie. Pour la presse, c’est la publicité, les abonnements ou les ventes au numéro. Pour la presse numérique, ce sont les abonnements (ou la vente à l’article) ou la publicité. La profession a suivi de près les modèles de Wired et du Washington Post. Ces éditeurs ont été les premiers à proposer une gratuité limitée avant de bloquer l’accès aux articles afin de promouvoir leurs offres d’abonnements. C’est une voie. Il en est d’autres. Ainsi, l’accès réduit à un nombre restreint de contenus. En clair, 80 % des articles sont réservés aux abonnés. On parle du modèle Freemium : seuls quelques articles généralistes sont disponibles, sans limite. Mais les articles les plus intéressants sont réservés aux abonnés. »

Quid de l’utilisation des data ?

° Autre modèle, le Premium. A priori le préféré des éditeurs. Avec la pandémie, les achats au numéro et les abonnements ont bondi. Ce modèle, plus proche du marché « classique » de la presse papier, finira-t-il par s’imposer… alors même que le web nous a habitué à la gratuité ?

« Pour passer au niveau supérieur d’information, les médias proposent différentes formules d’abonnements : vous pouvez recevoir votre quotidien en version numérique ou avoir accès à l’ensemble des contenus depuis votre espace abonné. Ces abonnements permettent d’avoir accès à tous les articles réservés. Soit du travail journalistique sérieux, sourcé et fact-checké… Et ça marche ! Aujourd’hui, par exemple, moins de 20 % des abonnés du quotidien Le Monde reçoivent encore le format papier. Plus ses audiences gratuites se développent, plus le journal du soir recrute d’abonnés payants !

« Tous les médias se sont adaptés avec plus ou moins de succès au digital, qui a remis en question l’ensemble des business models en place. Les changements dans les comportements de consommation questionnent également la présence de la publicité et l’utilisation qui est faite des données, notamment chez les jeunes générations. Autant de contraintes qui ont obligé les médias à faire des choix entre le Freemium et le Premium. N’empêche : l’avenir des médias reste flou. Hormis quelques supports emblématiques, qui ont beaucoup investi, la rentabilité des nouveaux business models reste délicate. »

Pas de ‘Spotify de la presse’ !

° Que penser des projets de « kiosque numérique » ? Il semblerait que l’option groupée d’abonnements sur les kiosques numériques comme Cafeyn, en France, ne permet pas aux titres de presse d’être assez rentables. L’idée d’un « Spotify de la presse » ne serait pas mature ?

« Il semblerait, en effet, que l’option groupée d’abonnements sur les kiosques numériques, dont Cafeyn, ne permette pas aux titres de presse d’atteindre la rentabilité. Les éditeurs en reviennent. Beaucoup préfèrent communiquer en direct avec leurs lecteurs… 

« Personnellement, je ne crois pas à cette idée de ‘Spotify de la presse’. Il ne s’agit pas de promouvoir des artistes, dont les œuvres peuvent être fort différentes. En soi, Bach ne concurrence pas le hard rock ! On ne parle pas ici de genres musicaux, mais de débats d’idées. Comment concilier sur une même plate-forme des titres qui peuvent analyser l’actualité de façon totalement divergente et qui ont des lignes éditoriales différentes ? J’attends de voir ce que ça donnera, mais pour l’instant, nous sommes focalisés sur le développement de L-Post. »

Censure…

° Quel est le rôle et l’importance des réseaux sociaux dans votre développement ? Est-ce un passage obligé ? Ou naturel partant de la nécessité pour les rédactions d’adapter leurs formats au « snack content » plébiscité par la génération Z ?

« On ne peut pas négliger les réseaux sociaux. Pour la presse, aussi, ils sont importants. Le Monde, par exemple, a séduit quantité d’abonnés sur Snapchat et sur TikTok ! De manière générale, il est pratique d’avoir le divertissement et l’information sur une seule plateforme. De plus, ‘aimer’ ou ’suivre’ plusieurs pages de médias d’informations et retrouver des articles dans son fil d’actualité est plus simple qu’aller chercher l’information sur les sites des médias. C’est un canal pour attirer les jeunes lecteurs vers la presse d’information.

« Ceci dit, aujourd’hui, ces plateformes s’arrogent le droit de censurer des articles de journalistes ou de suspendre les comptes ou profils de ces derniers en estimant que les articles ne respectent pas leurs standards. Or, les articles sont bien documentés. C’est interpellant et inquiétant, car cette liberté que prennent les plateformes comporte un gran,d risque :  celui de façonner et d’alimenter une sorte de pensée unique et de renforcer les ‘bulles d’opinion’ main stream. Les réseaux sociaux ont tendance à devenir les arbitres du vrai ! Ils ont commencé à s’ériger en rempart contre la ‘désinformation’ et à modérer massivement les contenus présents sur leurs réseaux. Partant d’une bonne intention, la modération peut facilement flirter avec le blocage et la suppression d’informations. De là, la censure. Aujourd’hui, le politiquement correct des politiciens veut atteindre les réseaux sociaux pour faire taire ceux qui ne pensent pas comme celui qui légifère. Combien de journalistes n’ont pas été évincés de de Facebook ou de LinkediIn ! »

Pourquoi le digital est-il encore négligé ?

° Au terme de cette première année d’expérience, comment, d’une manière générale, observez-vous l’évolution de la presse belge ? Des interactions sont-elles possibles avec d’autres médias ? Tout deviendra-t-il digital ?

« L’essor du numérique est incontestable. Mais il n’est pas encore bien considéré. Il est anormal que l’aide à la presse en région francophone ne profite qu’à deux grands groupes de presse – IPM et Rossel. Au vu du Pouvoir public, le papier l’emporte encore sur le numérique. Cette répartition inégale et discriminatoire pose d’autant plus problème que la consommation de médias se fait majoritairement sur leur version numérique. Pourquoi ne pas tenir compte des pure players ?

« Au contraire, il s’agit de stabiliser les nouveaux modèles économiques. Et donc de réformer l’aide à la presse afin d’aider les éditeurs digitaux à, entre autres, renforcer les nouveaux modèles économiques  – comme le Freemium et le Paywall – à l’heure où le marché publicitaire s’effondre.

« In fine, il s’agit d’attirer les jeunes lecteurs, susciter leur attention à l’heure où le lectorat s’érode. Il faut aussi lutter contre les fake news et les médias 100% digitaux y contribuent autant que la presse traditionnelle papier. Et donc se demander si le soutien public ne doit pas avant tout viser à favoriser l’éducation des jeunes à la lecture de la presse payante Ce sont autant de réflexions que nous menons à travers l’ABIPP (Association of Belgian Independent Pure Players). Comment se fait-il, en qualité de professionnels de la presse, que nous ne soyons pas considérés et donc soutenus de la même façon ? Pourquoi négliger le digital alors que nous représentons l’avenir ? Pourquoi cette discrimination d’un autre temps ? »

(*) Philippe Lawson, rédacteur en chef