Dégradation de nos compétences humaines -cognitive, politique, sociale, désirante et même technique
Un cadre pour retrouver le cap. Le livre « Déshumanités numériques » est un plaidoyer pour l’intelligence collective, assistée ou non par l’IA, mais toujours comme priorité dans nos choix.
Les premiers effets de l’IA dans les pratiques quotidiennes seraient déjà visibles : 46 % des employeurs notent une amélioration de l’efficacité et 31 % évoquent une meilleure collaboration.
Mais cette performance, analyse Indeed dans une récente étude, s’accompagne d’un revers et une contradiction. Un quart des dirigeants mentionne en parallèle une perte de la dimension humaine dans les échanges professionnels. Le paradoxe est d’autant plus grand dans un contexte de retour au bureau, pas forcément bien accueilli par les employés, mais justifié par les entreprises justement pour améliorer les synergies entre personnes physiques.
C’est le paradoxe de notre époque. L’enjeu serait alors de canaliser cette efficacité pour renforcer les équipes, plutôt que d’initier un « remplacement silencieux ». Comment ? En choisissant la voie de l’augmentation de l’humain. La désorientation est générale pour le public, pour les décideurs comme pour les chercheurs tant la rapidité des changements techniques, économiques et politiques est fulgurante et surtout incertaine.
Que faire ? Qui croire ?
La bascule ? 2022, avec l’irruption de l’IA générative. Pour Dominique Boullier, qui signe « Déshumanités numériques » (Armand Colin), ChatGPT est la marque la plus brutale, bien que les dérives des réseaux sociaux comme l’ingérence de ces plateformes dans les élections et les attaques informatiques font partie de ce chaos généralisé dans le numérique.
Que faire ? Qui croire ? Se déconnecter ? Changer de réseau social ? Interdire TikTok ? Écouter les prophètes de malheur ou les vendeurs de miracles ? Choisir les standards des plateformes ou les solutions indépendantes et libres ? Se méfier de la Russie, de la Chine, des États-Unis ? Ou croire en l’Europe ?
« Ouvrage garanti sans IA ! »
« Des réseaux et des technologies qui n’ont jamais vraiment été gouvernés amplifient les clivages et les risques sociaux, avance le sociologue, professeur des Universités émérite. Le pari des sciences sociales de donner des grilles de compréhension dans la longue durée se trouve débordé par l’actualité. Elles doivent pourtant alerter sur des risques majeurs de déshumanisation, c’est-à-dire de perte de compétences humaines, en matière de souveraineté, de connaissance et de vie sociale, politique et morale. »
Un constat, oui. Mais pas seulement. Ce livre propose un cadre d’analyse pour retrouver un cap sans se laisser déshumaniser par l’agitation numérique. « Ouvrage garanti sans IA ! », rassure Dominique Boullier. Merci !Sans IA, comme on dirait sans OGM. Pour le professeur, l’éducation est à l’épreuve du « dopage cognitif ». Et de rappeler que sa mission est d’apprendre à penser, à décider, et cela de façon autonome sans se reposer sur les performances de leurs « dispositifs de dopage incontrôlés »…
Vigilance
Car les IA cachent des risques d’érosion des compétences. « Il ne faut pas sous-estimer l’impasse cognitive et sociale créée par des systèmes de réponse-à-tout présentés faussement comme fiables. » De fait. Reconnaissons-le, nous sommes en train de perdre notre expertise, nous ne faisons plus les efforts nécessaires pour comprendre un problème et évaluer la validité relative des propositions. L’IA générative n’est donc pas un « outil d’augmentation », mais un « vecteur potentiel de déshumanisation institutionnelle ».
L’urgence n’est plus à l’adoption aveugle, dit encore Dominique Boullier, mais à la construction d’une vigilance organisationnelle et d’une souveraineté cognitive.
Alain de Fooz