Une guerre larvée, qui ne dit pas son nom. Et qui menace toute l’économie
La perspective d’un « kill switch » doit être envisagée par les CIO et, plus encore, les CEO. Pratiquement, il s’agit d’examiner les contrats de services cloud actuels et à venir à la lumière de ce type de perturbation d’un genre nouveau.
« Nous sommes entrés dans l’ère de l’instabilité, où la technologie peut devenir une arme géopolitique. Or, alors même que nous sommes conscients que le cloud est le socle de l’économie numérique, 80 % des achats de cloud et de logiciels en Europe bénéficient aux Américains. C’est un gros problème ! » Le commentaire de Benjamin Revcolevschi, CEO, OVHcloud, quelques semaines après sa nomination du premier prestataire de cloud européen, résonne encore.
Les partisans de la souveraineté en Europe craignent depuis longtemps que la dépendance au cloud ne permette aux agences américaines d’espionner les données sensibles des Européens stockées sur des serveurs américains, où qu’ils soient, grâce aux lois américaines. Plus encore aujourd’hui.
L’affaire de la CPI, un signal
Dans un cycle politique qui a vu le président américain modifier des lois en un clin d’œil et le procureur général de la Cour pénale internationale perdre l’accès à sa messagerie Microsoft après avoir été sanctionné par Washington -suite à des mandats d’arrêt contre de hauts responsables israéliens-, il existe de réelles craintes que les États-Unis n’utilisent leur domination technologique comme une arme pour exercer une influence à l’étranger.
« Trump déteste profondément l’Europe, pense Zach Meyers, Director of Research, CER (Centre for European Reform). L’idée qu’il puisse ordonner un kill switch ou prendre toute autre mesure susceptible de porter gravement atteinte aux intérêts économiques n’est pas aussi invraisemblable qu’il y a six mois. »
Quelqu’un peut fermer le robinet
Sur le même registre, Alexander Windbichler, CEO, Anexia, aurait aimé que les informaticiens comme lui s’expriment plus tôt sur cette « dépendance malsaine », arguant que l’industrie européenne du cloud a trop longtemps évité le lobbying et la politique, se concentrant sur la compétitivité technologique.
« Je ne sais pas si Trump pourrait mettre fin aux services cloud en Europe, mais je n’aurais jamais imaginé que les États-Unis menaceraient de confisquer le Groenland ! C’est plus fou que de fermer le cloud ! »
Après tout, le cloud fonctionne comme un robinet d’eau. Quelqu’un peut le fermer. Pratiquement, l’administration américaine pourrait ordonner aux entreprises de cloud d’interrompre leurs services en Europe.
Europe, Canada, Inde…
l n’y a pas que Trump et il n’y a pas que l’Europe. Fin juillet, le géant indien de l’énergie Nayara Energy, détenu à 49 % par le géant russe Rosnef, a lancé une action en justice dans son pays contre Microsoft pour avoir interrompu tous les services payants qu’il lui fournissait sans préavis. Un blocage de services qui apparaît, en réalité, comme une conséquence des sanctions prises par l’Union européenne à l’encontre de la Russie
Voilà qui laisse à réfléchir. CIO et CEO auront à examiner leurs contrats actuels et futurs à la lumière de ce type de perturbation. De toute évidence, il s’agit d’un événement d’un genre nouveau qui doit désormais être pris en compte lors de la signature de contrats de services cloud.
C’est une guerre larvée, une guerre qui ne dit pas son nom. Aux mesures européennes de la Commission européenne -qualifiées de « discriminatoires » par le président Trump, nous risquons de nous voir imposés « des droits de douane supplémentaires substantiels. » Pour rappel, en juin, Trump avait annulé des négociations commerciales avec le Canada en représailles à une taxe sur les services numériques prévue par Ottawa et visant Alphabet, Amazon et Meta. Peu après, le Canada avait annoncé annuler la mesure…
Alain de Fooz