IA, il est urgent de ne pas se presser !
Difficile d’échapper au sujet du moment. A Connect 2025, sans être spécialement l’invitée, l’IA s’est imposée au cours d’une table ronde. En quelques minutes à peine, à l’issue du cycle de conférences, on a pu évaluer son impact. Des échanges révélateurs.
Soupir. « Faire de l’IA pour faire de l’IA, c’est non ! » Pour Jérôme Paquot, CIO, XLG, il n’est pas question de céder à la pression du moment. L’IA n’est pas la réponse à tout. Loin de là. « On a des projets. Comme tout le monde, on teste l’IA. Et, d’ailleurs, pas nécessairement avec des succès… Si nous y sommes ouverts, je n’accepterais pas qu’elle vienne obscurcir d’autres technologies qui fonctionnent bien ! »
Message de prudence. « L’IA, c’est comme toute autre innovation : il faut la traiter avec méthode, étape par étape. Si vous chamboulez tout d’un coup, vous allez le regretter dans trois mois », nuance Jack Hamande, General Manager, NCCN (Centre de crise National).
« La pression pour ‘faire quelque chose avec l’IA’ a créé un faux sentiment d’urgence », enchaîne Séverine Ovyn, CIO, AVIQ. Trop d’organisations se lancent sans vision claire, ni compréhension des exigences nécessaires au fonctionnement concret de l’IA. Elles se concentrent sur ce qu’il faut déployer, et non sur la manière de le faire de manière responsable. « Opérant dans le secteur public, je n’ai pas droit à l’erreur. Je ne pas me dire que j’expérimente. Non, vraiment, ce serait trop dangereux ! »
Pas d’illusions, pas d’attentes démesurées. Il y a, on le comprend, une distance entre le ‘ça marche relativement bien sur telle plate-forme en mode démo’ et ‘ça fonctionne de manière fiable, à grande échelle, en production’ ! « Ne parlez pas de Noël trop tôt, illustre Séverine Ovyn, ne vous laissez pas emporter par votre enthousiasme ! »
Gouvernance, souveraineté, stratégie…
L’IA est un voyage, un parcours de longue haleine. « Les promesses sont grandes, mais les progrès un peu plus lents que prévu, même s’ils sont effectifs d’une année sur l’autre », renforce Jack Hamande. Et d’insister sur la qualité des données. L’IA soulève un défi de taille pour les équipes en charge des données : sans données qualifiées, les résultats de l’IA risquent d’être erronés et peu fiables, suscitant la méfiance des professionnels censés adopter ses cas d’usage. « L’IA accentue l’incidence d’une mauvaise qualité des données ! »
Gouvernance, donc. Mais aussi souveraineté, prévient Arnaud Spirlet, CEO, Win & Computerland. « Où sont mes données ? Ai-je encore le contrôle sur elles ? A ces questions que j’entends tous les jours en clientèle, il n’y a pas une réponse unique. C’est affaire de choix. Donc de stratégie. »
Cette stratégie repose sur une approche multicouche combinant des réglementations, des solutions techniques (chiffrement, hébergement) et des clauses contractuelles avec les fournisseurs. « Les entreprises doivent évaluer leurs risques, former leurs équipes, utiliser des technologies adaptées et s’assurer de la conformité pour sécuriser leurs données. Ce n’est pas juste télécharger ChatPGT ! »
Attentes floues et précipitation… gare à l’impact !
« Et l’humain dans tout ça ? », questionne Marc Senterre, Founder, Senterra. Oui, l’IA change tout. Mais elle ne fait rien seule. C’est l’humain qui l’oriente, l’entraîne, l’interprète et, surtout, lui donne une finalité. « Ce n’est donc pas l’IA qui transformera nos entreprises : c’est ce que nous choisirons d’en faire. Un choix qui exige un engagement collectif et lucide… »
Alors que l’IA progresse à une vitesse vertigineuse, elle met en lumière ce qu’elle ne peut pas faire : ressentir, comprendre le non-dit, s’adapter à l’imprévu ou faire preuve d’intuition. Loin de rendre l’humain obsolète, l’essor de l’IA oblige au contraire à redéfinir la place de l’intelligence humaine et à la valoriser.
Cette évolution soulève une question centrale : comment rester compétitif quand l’IA devient incontournable ? Et, surtout, comment la mettre au service de l’intelligence émotionnelle, dont parle Marc Senterre, mais aussi l’intelligence collective, plutôt que de la subir ? Donc, « l’intelligence émotionnelle ou artificielle doit être utilisée pour améliorer le jugement humain, et non pour le remplacer. »
Bref, hâte-toi lentement ! Arnaud Spirlet observe encore que, au départ, la plupart des organisations n’ont pas d’attentes concrètes « Vise-t-on une nouvelle hausse de productivité de 10 % ou une baisse de 2 % des effectifs ? Souvent, les attentes sont mal définies. »
Un avertissement
Le constat est là : les implications du déploiement et de l’utilisation de l’IA ne sont pas encore claires ; nombre de dirigeants ignorent l’ampleur des changements que cette technologie va opérer sur la nature du travail et, plus encore, nos vies.
Ce moment à Connect 2025, cette table ronde de quelques minutes à peine à l’issue de conférences toutes plus intéressantes les unes que les autres, a sonné comme un avertissement pour l’ensemble de l’écosystème numérique. La réussite dans l’ère de l’IA ne dépendra pas seulement de la qualité des algorithmes, ni même des données, mais bien de la capacité des entreprises à aligner leur vision stratégique. « Il n’est pas question de rater le train, mais ne nous pressons pas sans réfléchir ; il serait dommage de patienter trop longtemps sur le quai de la gare », résume Arnaud Spirlet.
Alain de Fooz



