L’essor de l’IA ou le risque de « prolétarisation de la pensée »

« De la bêtise artificielle » -paru chez Allia, « petite Collection »- rejette à la fois les discours les plus alarmistes des critiques de l’IA sur la fin de l’humanité… et les utopies techno-solutionnistes de ses promoteurs…

« Il est fort probable qu’une telle langue artificielle finisse par se naturaliser : à force de donner des ordres aux systèmes algorithmiques, nous ne penserons plus que sous forme de prompts, quand bien même il n’y aurait plus de machine pour les exécuter, avance la philosophe Anne Alombert. Aurons-nous tendance à ‘prompter’ en nous adressant à autrui ou à nous-mêmes, dans nos pensées ? »

Le ton est donné. Critique, acerbe. Dans cet essai -qui suit « Schizophrénie numérique » (2023)- il apparait rapidement que l’IA n’existe pas, « c’est la bêtise artificielle qui caractérise notre époque ». La simulation de nos capacités expressives -écrire, parler, créer- conduit à leur prolétarisation. « En nous laissant imaginer des machines pensantes, le terme d’IA nous empêche de penser. »

Des instruments de contribution

Dans ce nouvel ouvrage, Anne Alombert revient sur l’apparition de l’écriture alphabétique pour comprendre les enjeux des nouvelles machines d’écriture numériques : élimination des singularités, délégation de l’expression, défiance généralisée. Elle montre aussi que cette situation n’a rien d’une fatalité. Nous pouvons mettre ces technologies au service de l’intelligence collective et de la démocratisation de l’espace médiatique, à condition d’en faire des instruments de contribution, et non d’imitation ou d’automatisation. Ainsi nous pourrons ouvrir la voie à une véritable révolution numérique.

Le ferons-nous ? Choisirons-nous notre destin ? Le danger guette. Pour l’auteure, la révolution de l’IA peut avoir de lourdes conséquences psychiques et sociales. « Peut-on vraiment augmenter nos capacités de compréhension et d’expression en les déléguant à des systèmes automatisés, c’est-à-dire en cessant de les exercer » ? En effet, précise-t-elle « un étudiant utilisant ChatGPT pour écrire ses devoirs est l’équivalent d’un footballeur qui demanderait à un robot d’aller s’entraîner à sa place ! Un tel étudiant ne pourrait ni apprendre ni progresser ». Argument imparable.

Qui pense : la machine ou nous ?

Autrement dit, en nous laissant imaginer des machines pensantes, le terme d’IA nous empêche de penser, soutient Anne Alombert.

« Dans le contexte du déploiement massif des IA génératives, il dissimule l’idéologie des entreprises qui se sont appropriées ces technologies, leurs infrastructures matérielles, leurs modèles économiques et leurs conséquences politiques », écrit-elle encore.

Alain de Fooz