Entre réalité virtuelle et IA, la révolution numérique permet d’avoir des univers factices de plus en plus attrayants

On connaissait la « post-vérité », voici venue l’ère de la « post-réalité ». Dans « À l’assaut du réel » (PUF, 20 EUR), le sociologue Gérald Bronner nous invite à une réflexion essentielle sur l’avenir de notre rapport au réel. Sommes-nous encore capables de préserver un socle commun de réalité ? Ou sommes-nous condamnés à une ère où chacun forgera son propre monde ?

Aujourd’hui, les algorithmes et l’IA font en sorte de nous enfermer chacun dans notre réalité individuelle. Ils brouillent notre rapport au réel. Chaque individu, y compris des acteurs politiques, peut décider de considérer comme réels ou non des faits, des images. Des communautés disparates s’organisent alors autour d’interprétations particulières de la réalité.

Dans son dernier livre, Gérald Bronner décrit l’avènement d’un monde où la réalité, peu à peu, se trouve métamorphosée par l’appétit du désir humain. Ce dernier, inextinguible, ne tolère plus les bornes que lui imposait jadis l’ordre du réel. Il les repousse, les grignote, les dissout.

Qu’est-ce que le réel ?

Que restera-t-il de ce qui fait le socle de toute communauté humaine lorsque ne perdurera plus que l’individu, mû uniquement par sa quête de bonheur et de développement personnel ?

Mais qu’est-ce que le réel ? Comment, déjà, le définir ? L’auteur s’en remet aux conceptions d’un Richard Dawkins et de Philip K. Dick. Ces approches ont en commun de concevoir la réalité à partir des résistances qu’elle oppose à nos désirs. Gérald Bronner explore la manière dont notre contemporanéité organise notre « surdité » et notre « cécité » face aux heurts que le réel inflige.

La tech s’en mêlant…

Le réel, autrefois, se contentait de nous résister. C’est à cela qu’on le reconnaissait. Il rendait les coups, nous faisait payer nos erreurs, signait l’échec de nos rêveries et de nos délires. Depuis quelque temps, cette vieille frontière s’est mise à bouger. La tech s’en mêlant, les changements des mentalités aussi. L’antique fantasme de plier le monde à nos désirs prend des tournures nouvelles. L’univers des possibles -et des mirages- connaît une expansion fantastique. Le mot d’ordre nouveau pourrait être : « Si la réalité telle qu’elle est ne vous convient pas, changez-la, changez-en ; il suffit de le vouloir, de le décréter… le reste suivra ! »

Certes. Mais que restera-t-il du bien commun, si chacun s’enferme dans la citadelle de son bonheur privé, dans l’obsession de son propre accomplissement, indifférent à l’édifice collectif ?

Alain de Fooz