Il n’y a pas de stratégie digitale, mais il y a toujours une stratégie dans le monde devenu digital. Chacun peut la trouver. A condition de sortir de sa zone de confort, de se remettre en question. Et donc suivre le chemin opposé d’un Kodak, qui a préféré l’immobilisme. Conseils de Maxence Cupper, serial entrepreneur, CEO & Founder, idloom.

Ubérisation, le terme revient souvent. Le substantif -créé par le publicitaire Maurice Levy, patron emblématique de Publicis– exprime le déclassement d’une entreprise par l’intrusion d’un nouvel entrant dans son secteur d’activité qui se positionne ailleurs dans la chaine de valeur. Mais, pour le serial entrepreneur Maxence Cupper, il y a pire que l’ubérisation : la kodakisation !

L’ubérisation est le fruit d’un manque de réflexion sur les marchés, les business models et les expériences permises par le digital. Bref c’est un manque d’innovation : innovation sur le produit, le business model, la technologie et les services. La kodakisation, c’est la peur de brûler son bateau; la peur de se transformer qui pousse à rester dans l’incrémental.

«Kodak avait perçu l’essor inéluctable de la photographie numérique. Mais pour le géant du film, c’était un marché différent, des logiques de marges différentes, des circuits de distribution différents, analyse Maxence Cupper. Le fait n’est pas que Kodak ait compris le danger avant tout le monde, mais que sa direction a choisi de ne pas changer de marché, pas changer de business model, pas changer de circuit de distribution. En somme, ne pas avoir osé aller ailleurs avec d’autres produits et d’autres partenaires. Bref, ne pas avoir renoncé à une situation confortable, maîtrisée bien que compromise»

Alors que l’ubérisation contraint nos entreprises à se remettre en question, la kodakisation les fige. La question, aujourd’hui, est : votre business peut-il survivre à la quatrième révolution industrielle ? Tel était le thème du «Midi Onze : l’heure du succès», déjeuner organisé par es sense. Pour l’orateur, Maxence Cupper, il y a urgence : trop nombreuses, encore, sont les entreprises à ne pas vouloir regarder en face la révolution digitale. «Or, dans tous les secteurs, nous aurons à nous transformer pour bénéficier du numérique comme levier croissance et de compétitivité. Dans cette course de fond, un seul cap à tenir : celui de l’innovation. Une innovation qui passe par un investissement humain et financier dans une démarche ouverte.»

BANISSONS LE TERME ‘CRISE’. Et ne faisons plus référence à la chute de Lehman Brothers en septembre 2008. A quoi bon ! Certes, ce fut -et reste- la plus grosse faillite nord-américaine. Depuis, la pression réglementaire a été renforcée sur les banques, les ratios de liquidité ont été revus, Basel III a été introduit. Mais autre chose, aussi, s’est produit : le changement de comportement des clients -poussés par le numérique. Et donc l’arrivée de nouveaux entrants. Un Lending Club, par exemple, qui assure des prêts entre particuliers sans passer par les banques. Ou Kabbage, plate-forme automatisée d’évaluation des risques. Sans compter les FinTech. Dont, bel exemple belge, MyMicroInvest qui cartonne sur le marché du crowfounding.

Les FinTech ont un atout de taille par rapport aux banques : elles se concentrent sur l’expérience client, non sur l’acte d’achat. Du coup, le modèle traditionnel de la banque devient obsolète; il ne répond plus aux attentes d’un ‘consomm’acteur’ nomade et hyper-connecté. «Et pourtant, les FinTech sont une chance pour les banques, estime Maxence Cupper. En les bousculant, cette nouvelle concurrence permet aux établissements financiers traditionnels de se remettre en question, à investir massivement dans les technologies du numérique. Leur maintien dans la course passera notamment par la mise en place de nouveaux canaux d’acquisition, l’amélioration de la relation client, l’optimisation de la gestion du risque par le biais du big data, ou encore la mise en place de nouveaux services innovants.»

LES JEUX NE SONT PAS FAITS. Mais le temps presse. Demain, le géant de l’assurance en Europe ne sera sans doute plus Axa ou Allianz, mais… Google ! Qui donc, en effet, vous connaît mieux que le géant de l’internet ? «Un coup d’oeil à votre bracelet électronique : 6.123 pas depuis le réveil, illustre Maxence Cupper. En montant dans votre voiture, vous vous dites que vous ferez mieux le lendemain. Quarante-cinq minutes plus tard, vous vous garez dans le parking de l’entreprise après avoir enfreint les limitations de vitesse à deux endroits, donné trois coups de freins un peu brusques et accéléré sèchement à huit reprises, comme l’atteste votre smartphone. Vous n’y prêtez pas forcément attention, mais ces données ne sont pas perdues pour tout le monde. Pas plus que les innombrables traces laissées lorsque l’on surfe sur Internet et sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, pour les sociétés technologiques qui disposent de cette information -pas encore les assureurs-, c’est une aubaine : elles ont appris à connaître le comportement de chacun d’entre nous -qui leur avons par ailleurs déjà donné de notre plein gré une foule d’autres informations !» Question : que peuvent faire les assureurs ? Pourront-ils acquérir autant d’informations ou devront-ils les acheter, auquel cas ils finiront pas devenir de simples intermédiaires ?

Le métier de l’assurance, basé sur le principe de la mutualisation, pourrait rapidement basculer sur un modèle d’individualisation. Et donc une personnalisation du risque. «Parce que vous avez plus de 45 ans, que vous fumez et que les informations qui remontent des capteurs de votre voiture ont montré votre penchant pour la vitesse, vous paierez plus cher votre prime d’assurance ! Faut-il y voir une atteinte à la vie privée ? Sans doute. Personnellement, ça ne me gêne pas : je sais que je paierai moins cher !» Maxence Cupper n’est pas seul à penser de la sorte. Selon une récente étude du cabinet de conseil PwC, plus de la moitié des Européens se disent prêts à fournir des informations personnelles complémentaires à leurs assureurs, y compris sur leur mode de vie… à condition, bien sûr, d’en retirer un avantage.

«Si le consommateur exige de plus en plus de payer le prix qui correspond à ‘son’ risque, c’est le principe de la mutualisation -sur lequel repose l’assurance- qui risque de sauter. Le risque, en effet, est que Google propose des primes très basses aux profils à faible risque et laisse les ‘mauvais’ profils aux compagnies traditionnelles. A terme, ceux-ci pourraient tout simplement ne plus se voir proposer d’assurance…»

L’accès, encore, avec NetFlix. Après avoir loué sous forme d’abonnement des DVD, Netflix imagine la télévision du futur qu’il faut voir comme une offre de contenus disponibles à la demande sur des moyens digitaux. Fini le modèle ‘linéaire’ du téléviseur qui trône dans nos salons. Le consommateur n’accepte plus d’être dépendant de chaînes qui proposent des programmes à horaires fixes, visibles uniquement sur un téléviseur. Pour mieux imposer son modèle, le groupe a développé un algorithme qui propose au client les films censés l’intéresser au vu de son historique de visionnage.

Netflix connaît ses clients. C’est d’ailleurs sa plus grande force, il peut répondre à leurs besoins, voire les devancer. Et c’est pour cela qu’il se lance dans la production de films. Au cours de ce premier trimestre 2016, Netflix va produire et diffuser sept films, dont certains sortiront le même jour au cinéma et sur la plate-forme. Contrairement à la plupart des autres services de vidéo à la demande sur abonnement, qui misent sur la richesse de leur catalogue, Netflix se différencie en proposant des programmes qu’on ne peut voir ailleurs. Et qui déclenchent parfois l’acte d’abonnement ou, du moins, le fait que les utilisateurs le maintiennent.

Est-ce la fin de la télévision, des grilles immuables, des rendez-vous comme le 20 heures ? Sans doute. Netflix change la donne. Au même titre que, dans son domaine, un Skype qui permet d’appeler et voir sans téléphone. Darwin n’est pas loin. Depuis le début des années 2000, de nombreux secteurs ont été touchés par la révolution digitale : l’industrie du disque, le cinéma, la presse, le tourisme… Des pans entiers de l’économie traditionnelle sont menacés : la livraison, la distribution, la construction, les métiers juridiques ou encore les fonctions administratives. Quel avenir pour les taxis, les transporteurs, les ambulanciers ou les auto-écoles avec l’apparition de la voiture autonome ? Quel devenir pour l’industrie manufacturière, voire pour le secteur de la construction face au développement de l’impression 3D ?

FAIRE AUTREMENT, MAIS COMMENT ? Cette année, l’opérateur télécom Orange va devenir banquier -une banque 100% digitale, 100% mobile et 100% innovante… Au départ, deux constats. Un : 30% des clients utilisent aujourd’hui leur téléphone pour consulter leurs comptes. Deux : 32% des clients souhaitent ouvrir un compte dans un établissement non bancaire. Et d’avancer d’autres atouts comme une souscription totalement dématérialisée par exemple -avec la possibilité de gérer les formalités administratives à distance, telles que la photographie des justificatifs pour l’ouverture d’un compte. Mais il y a plus. Orange va miser sur les réseaux sociaux pour partager avec le client, tester de nouvelles idées et être plus réactif à ses demandes (30% des sollicitations sur réseaux sociaux) ou réclamations (35% des sollicitations sur réseaux sociaux). D’emblée, on pense à Facebook et à Twitter, mais il faut aussi compter sur des systèmes de messagerie instantanée comme Whatsapp ou un service en propre pour donner des réponses rapides au client.

«C’est le miracle du web : les relations directes entre producteurs et consommateurs, vendeurs et acheteurs, offreurs et utilisateurs se multiplient. Certains maillons de la chaîne de valeur perdent ainsi leur raison d’être…» Pas nouveau pour l’industrie culturelle. Illustration frappante dans le monde de la musique. Des deux bouts de la chaîne, il suffit d’un simple ordinateur et d’un accès à Internet pour bouleverser les étapes du processus de distribution. L’auteur propose directement son œuvre à son public. Plus besoin de passer par des producteurs, diffuseurs ou distributeurs. Côté consommateur, même raccourci : pourquoi aller dans un magasin alors qu’il suffit d’aller sur Internet ? Voilà pour le principe général.

SCHUMPETER OU FERRY ? Tout ceci renvoie au concept de «destruction créatrice» théorisée au siècle dernier par l’économiste autrichien Joseph Schumpeter (1883-1950), comme «l’impulsion fondamentale qui maintient en mouvement la machine capitaliste». A cet oxymore, le philosophe français Luc Ferry oppose celui d’«innovation destructrice», reflétant une vision plus optimiste du processus de transformation. Brillant vulgarisateur, l’auteur s’en explique avec cette image : «Laisser tomber dans l’eau son iPhone 6 donne rarement naissance au 7; en revanche, l’invention du 7 rend peu à peu caduc le 6 !» Vitale mais angoissante logique de l’innovation pour l’innovation !

Et Maxence Cupper de conclure en posant cette terrible question : êtes-vous prêt, pour innover, à remettre en question, quitte à le détruire, votre ancien business model ? Etes-vous prêt à faire une croix sur votre zone de confort -ce qu’a refusé Kodak. «C’est un aller sans retour, prévient-il. Mais, fort heureusement, pour une partie, le voyage peut être balisé. Comme tous les secteurs sont concernés, des exemples -tels des balises- existent. Vous pouvez vous en inspirer, vous faire accompagner par des spécialistes. Le vrai problème, en vérité, est de tourner définitivement une page : abandonner des pans d’activité, intégrer des écosystèmes nouveaux, explorer des territoires où l’on aura à faire ses preuves, à apprendre à se situer… Suivez mon regard. L’ennemi n’est plus dehors, il est dans vos murs. Et c’est vous !»

Alain de Fooz

 

es sense : transformer une entreprise qui «fonctionne» en entreprise qui «cartonne» !

Société de conseil, es sense aide les patrons à transformer leur entreprise qui «fonctionne» en entreprise qui «cartonne» ! Pour cela, es sense travaille tant sur l’énergie du patron et de son organisation que sur la stratégie et les tactiques.

Chaque mois, es sense organise son «Midi Onze : l’heure du succès» où un client vient partager avec d’autres patrons une expérience inspirante.

Qu’est-ce qui a vraiment fait la différence pour obtenir plus de résultats ? Comment a-t-on surmonté certaines difficultés ? Chacun peut ensuite débattre avec d’autres participants sur la meilleure manière d’intégrer ces expériences dans son business.

Vendredi 22 janvier, l’invité était Maxence Cupper, serial entrepreneur, CEO & Founder, idloom, qui a expliqué l’importance de sortir de sa zone de confort pour ne pas se faire ‘ubériser’ ou, pis ! ‘kodakiser’.

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Maxence Cupper : Ne vous laissez pas kodakiser !
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Maxence Cupper : Ne vous laissez pas kodakiser !
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Il n'y a pas de stratégie digitale, mais il y a toujours une stratégie dans le monde devenu digital. Chacun peut la trouver. A condition de sortir de sa zone de confort, de se remettre en question. Et donc suivre le chemin opposé d'un Kodak, qui a préféré l'immobilisme. Conseils de Maxence Cupper.
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